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D’or et de Jais Chapitre 3

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D'or et de Jais tome 1 Andy Whou

Chapitre 3

James-Karl

Le soleil décline sur la stèle des défunts et ses rayons ocre caressent le marbre noir. Au loin, la forêt demeure imperturbable. Cet endroit de recueillement n’a aucun sens pour qui n’est pas lycan. Il s’agit d’un sanctuaire que nous a offert la Déesse-Lune pour effectuer nos deuils.

Mon frère…

— Parfois, je ne suis pas sûr d’être celui qu’ils pensent, dis-je sans quitter le monument des yeux. Ce chasseur légendaire, ces prouesses inégalées… Ce ne sont que des excuses. Un moyen de croire en notre descendance. Père était un grand Alpha et mère une Oméga parfaite. Pourquoi devrais-je prendre leur place ? Zaya s’en sort très bien. Tu la verrais, tu la trouverais grandiose. Tout le monde l’adore. Je ne serai jamais comme elle. Ce que je suis au plus profond de moi, personne ne le sait vraiment. Mais je sens que c’est là. Que ce n’est qu’une question de temps.

— Arrête ça.

Je secoue la tête, sentant mes yeux me picoter. Je ne peux pas me permettre de flancher. Si les aînés m’entendaient, ils me banniraient du village pour folie et démence. Un lycan a besoin de ressentir l’Empreinte avec sa meute, sinon il est perdu. Tout le monde a peur d’un loup sauvage.

— Je ne devrais pas devenir Pack-Alpha. Je ne suis pas à la hauteur.

— Tu es un bon loup, James-Karl. Tu seras le meilleur chef que le clan Roé ait jamais connu.

Je m’humidifie les lèvres et lève les yeux vers le ciel.

— Je t’entends dans ma tête, Karl ! vociféré-je dans le vide.

Mes mains tremblent et mes poings se serrent. Je suis nerveux. Je respire avec profondeur pour me calmer. Je n’ai pas pleuré depuis des années et il n’est pas question que ça change ce soir.

— Je n’aurais pas dû naître Alpha. Mère n’aurait pas dû me sauver en premier pour cette raison.

— Elle a fait ce qu’elle avait à faire. Je fais confiance en son choix. Tu réussiras.

— Nous n’en savons rien. Je finirai par perdre la tête, contesté-je, le front plissé.

— J’ai foi en toi également. Père, mère et Zaya aussi.

— Awu sent qu’un truc cloche chez moi, j’en suis persuadé. C’est un bon loup et il devrait être le compagnon d’un grand chef, pas d’un imposteur.

— Tu sais très bien que c’est inévitable. On ne choisit pas nos loups. Ce sont eux qui nous trouvent.

— James-Karl ?

Je sursaute alors que ma sœur m’interpelle. Je me retourne vers elle tandis qu’elle s’approche. Que fait-elle ici ? M’a-t-elle entendu parler tout haut ? Elle est censée être auprès des nôtres, c’est bientôt l’heure du dîner. Zaya est notre cheffe de meute depuis que père et mère sont morts. Elle s’accommode de ce rôle jusqu’à ce que je sois prêt à prendre sa place. Ce qui ne devrait plus tarder.

Au prochain solstice de printemps.

Ma Bêta de sœur me sourit.

— Tu viens présenter tes respects à notre famille ? plaisante-t-elle.

— Oui, comme toujours.

La seule chose qu’elle ne sait pas, c’est que mon ombre me suit partout, tout le temps.

Mon frère, mon âme double.

— Que fais-tu là ? demandé-je sans détour.

— Les aînés veulent réunir le conseil. Maintenant. Nous devons prendre une décision au sujet de cet humain. Il ne mourra pas de ses blessures et la réaction d’Awu est pour le moins… étonnante. Nous ne pouvons pas l’ignorer davantage.

Je gronde et l’odeur de pétrichor entre nous devient aigre. Je déteste que l’on remette en question mon loup, même si, pour la première fois de ma vie, je n’ai pas compris le comportement de mon familier. Lorsqu’il a pris cet humain en chasse, il y a sept lunes, je savais que nous finirions par avoir des ennuis. Nous ne nous approchons jamais des Hommes, sauf en cas de grande urgence.

Pourtant, la situation s’est empirée quand, après l’attaque, Awu a hurlé à la mort dans un chant de lamentations, puis a hissé le corps inerte sur son dos pour le ramener au village. Il refuse désormais qu’on se tienne à quelques pas de lui ou qu’on lui fasse du mal.

Je suis inquiet pour l’avenir d’Awu au sein de la meute. Ils le soupçonnent d’être devenu dangereux et imprévisible, féral.

— Nous devons prendre une décision, insiste Zaya.

— Laissez Awu en dehors de ça, grogné-je, sur la défensive.

— Nous n’avons pas le choix, James-Karl. Nous avons des responsabilités. Les aînés disent que c’est un mauvais présage. On ne blesse pas un humain pour le sauver ensuite.

— Awu n’est pas féral, répliqué-je avec ferveur, les poings serrés. Je te l’assure. Mon loup n’est pas sauvage.

— Je sais, James-Karl. Je sais. Et je suis sûre que personne n’en doute. C’est juste le conseil des aînés. Tout va bien se passer, ne t’inquiète pas.

— Je ne comprends pas ce qui lui a pris… Il n’a jamais fait ça avant, annoncé-je avec dépit.

— Allons-y. Plus vite c’est fait, plus vite on pourra aller dîner à la yourte.

***

Quand je pousse la porte de la hutte des anciens, ils sont attablés en rond sur les sept majestueux sièges en bois gravés à l’effigie des grandes familles de la meute Roé. Ici règnent les derniers représentants de la Grande Guerre des Clans. Leurs visages sont marqués par les blessures de notre passé.

Et des combats livrés pour sauver les nôtres.

Cette guerre, c’est mon géniteur, Galadriel, qui y a mis fin deux ans avant ma naissance, en tuant Bolor le Féroce, le Pack-Alpha de la meute la plus meurtrière que les lycans aient connue, le clan Sylaé. Ils vivaient sur les mêmes terres que nous, de l’autre côté du mont Roé. Et à l’origine, nous étions alliés. Seulement leur trahison a déclenché un long et terrible conflit lorsque Bolor a orchestré l’assassinat de mon grand-père, notre ancien chef de meute. Bolor était noyé dans son instinct animal et aveuglé par un besoin de domination démesuré. Il était prêt à tout pour régner.

Ont suivi des années de famines et d’assauts entre les villages. Père en est sorti victorieux, puis a unifié les clans. Mais au prix de nombreuses vies sacrifiées au fil de vingt-deux années de guerre.

Le conseil a été créé à cette période. Son rôle stratégique est devenu obsolète à la fin de la bataille, mais père l’a gardé en place en souvenir de nos erreurs passées. Ce conseil représente la sagesse et nous guide dans nos décisions futures afin que notre tribu n’ait plus à connaître la destruction, la faim ou encore le deuil. Il en va de notre survie.

— James-Karl, assieds-toi, mon enfant, m’intime Lucy, notre guérisseuse.

Je m’exécute et salue les Sept avec respect. Lucy est la plus instruite et la plus influente des unifiés de la meute Sylaé. Elle a été la première à accepter de rejoindre le clan Roé et son initiative a convaincu les derniers rescapés de son village à la suivre et à s’intégrer parmi nous. Nous ne faisons maintenant plus qu’un.

Je suis assis à côté du siège sur lequel trône Zaya. Il appartenait à père. Bientôt, il sera mien.

Awu pénètre la hutte et contourne la table pour s’allonger à mes pieds. J’observe la réaction des aînés à son égard. Le dépit et l’agacement peints sur leur visage ne me rendent pas optimiste.

— Conseil des aînés, nous nous en remettons à vous. Vous avez ordonné notre rencontre, nous sommes là, annonce Zaya.

Ma mâchoire se serre. J’espère qu’ils ne s’en prendront pas à lui. Le concerné ne semble pas le moins du monde inquiet, l’encolure appuyée sur ses pattes. On dirait qu’il s’ennuie.

— Je le comprends.

Je fixe la table et ignore les sarcasmes de Karl qui virevoltent dans mon esprit.

— Merci, Zaya, répond l’aîné Solys. Nous devons débattre de la présence de l’humain au sein de notre meute. C’est un événement pour le moins… inattendu.

— Tuez-le, rétorqué-je. Nous ne nous mêlons jamais avec les Hommes. C’est trop dangereux. Il n’a rien à faire ici !

Awu se redresse sur ses pattes arrière et grogne, visiblement pas d’accord avec moi.

— Devons-nous nous inquiéter de votre loup, James-Karl ? demande Luna-Lynn, la matriarche des Omégas, d’un ton sec.

— Non. Awu ne vous fera rien. C’est après moi qu’il en a.

— Permettez-moi d’en douter, conteste-t-elle, les lèvres pincées. Il est resté nuit et jour devant la cabane de soin, surveillant les allées et venues de tout le monde alors qu’il est celui qui l’a attaqué en premier lieu. Un grossier changement d’attitude, si vous voulez mon avis. Tout cela pour un humain. Nous n’étions même pas un soir de pleine lune.

— Cet homme était sur notre territoire ! rétorqué-je. Vous savez très bien qu’on ne laisse aucun humain entrer sur nos terres. Encore moins quand nous sommes en traque.

— Alors, pourquoi donc était-il sur nos terres ? Alors que c’était à vous de surveiller les frontières ? C’est aussi pour cela que l’on chasse, il me semble. Pourquoi l’a-t-il sauvé ? insiste l’aîné Solys, sans me quitter des yeux.

— Je… Je n’en sais rien.

— Il refuse qu’on l’approche, continue-t-il.

— Awu fera avec, attesté-je d’un ton ferme. Nous pouvons nous en débarrasser.

Ce dernier m’aboie dessus, la gueule pleine de crocs. Il ne plaisante pas.

Je le fusille du regard.

Ce sont les aînés, bon sang !

J’ai conscience qu’il ne peut pas m’entendre lorsque nous ne sommes pas en chasse, mais j’espère qu’il comprend le sentiment.

— James-Karl… un familier ne s’est encore jamais comporté comme ça. C’est inadmissible. Nous ne pouvons pas prendre le moindre risque. Que ferons-nous si les Hommes nous découvrent ?

Je me lève d’un bond et croise le regard de chacun des représentants du conseil.

— Tout est de ma faute ! admonesté-je. J’ai fait une erreur. J’aurais dû me douter que les humains seraient dans les parages avec le solstice d’été qui approche. Awu s’accommodera de votre décision. Je prendrai mes responsabilités.

Ma voix n’a baissé que d’un demi-ton, mais les Bêtas et Omégas dans la pièce frémissent sans pouvoir s’en empêcher. Je suis le futur Pack-Alpha, après tout.

— Je suis le chef de la chasse, continué-je, et il est de mon ressort de garder la meute en vie et en bonne santé. Je m’assurerai que cet humain ne soit plus un problème pour nous. Je suis prêt à l’annihiler moi-même s’il le faut.

Tout pour la meute.

— Il devra transitionner.

Mes yeux s’écarquillent.

Toutes les têtes se tournent soudain vers Lucy. Je ne fais pas exception.

— Impossible, argué-je, désarçonné. Ce n’est pas…

— Nous ne pouvons pas le laisser mourir. C’est incontournable, il deviendra un lycan. Je connais les esprits de nos montagnes et de la forêt, ce garçon ne peut pas périr. Si le loup l’a sauvé, c’est que la Déesse-Lune l’a décidé.

— Mais c’est une infortune pour notre clan ! Une bouche à nourrir supplémentaire, tonne l’aîné Harald, qui n’avait pour le moment pas pris la parole.

— Il sera chasseur.

Je m’étouffe avec ma salive. Nous sommes tous stupéfaits.

— Quoi ?

— Comment osez-vous, guérisseuse !? s’écrie l’aîné Solys. Les chasseurs sont les membres les plus forts et les plus déterminés de notre meute. Nos plus talentueux guerriers. On ne devient pas chasseur d’un claquement de doigts. Certains s’entraînent toute leur vie pour pouvoir atteindre cette distinction.

— Vous croyez que je ne le sais pas ? réplique-t-elle avec fougue. Me pensez-vous idiote ?

Personne ne se risque à répondre.

— James-Karl, vous êtes le chef de la chasse, reprend Lucy. Votre équipe nourrit le clan sans faillir alors que nous avons connu la faim pendant de longues années. Si vous êtes notre prochain souverain, vous devriez réussir à faire de ce jeune homme un chasseur digne de ce nom. Ai-je tort ?

Je serre les dents sous l’irritation. Oui, je suis le meilleur traqueur de toute ma génération. Oui, je suis le futur chef de meute, mais… un humain ? Mon grand-père n’aurait jamais accepté ça. Je me tourne vers Zaya. Elle ne bouge pas. Bien sûr, elle n’a aucune autorité dans ce genre de situation. Elle n’est que Bêta, elle ne prend pas de décisions, elle se contente de les acter. Notre famille n’aura atteint son plein pouvoir que lorsque j’aurai enfin la responsabilité du clan.

Jamais encore nous n’avons laissé un humain devenir lycan. Nous les tuons toujours. S’ils découvrent notre existence, ils meurent. Ce n’est pas arrivé beaucoup de fois, mais c’est incontournable pour préserver le secret de notre existence. Nous ne sommes même pas sûrs qu’il survivra à sa transition.

Néanmoins, je n’ai pas le choix. La décision des aînés est irrévocable et il n’est pas question que j’utilise ma voix d’Alpha pour faire ce que je désire dans ce village. Le dernier lycan qui a imposé sa volonté aux membres de sa meute, c’était Bolor le Féroce. Même mon père n’usait pas de son pouvoir de domination. Je dois plier sous les sept paires d’yeux qui se demandent comment je vais réagir, si je vais oser outrepasser leur juridiction. Mais jamais je ne ferais ça. Ils sont l’autorité suprême du village.

On ne peut désobéir au conseil.

Ma sœur me toise avec un air inquiet. Elle aussi a les mains liées. Je vais être obligé d’entraîner ce stupide et faiblard d’humain.

S’il survit, il devra supporter un enseignement intensif. Il souffrira le martyre de sa transformation et devra travailler trois fois plus dur que les autres pour être digne de l’unité de chasse. Je ne lui accorderai aucun répit. Aucune chance d’échouer. Il n’est pas question qu’il soit un poids pour le village. Les anciens ont parlé. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il devienne un tueur d’élite et je me rendrai responsable de ses défaillances.

Même si je hais les humains.

— Je peux faire de ce nouveau lycan un chasseur. Il en va de mon honneur. Je ferai ce que le conseil statuera. Je m’en remets à vous, je conclus.

Tout le monde hoche la tête et c’est avec dépit que Zaya, comme l’ordonne la tradition, valide leur jugement.

— L’humain sera donc annoncé demain comme tel à toute la meute Roé. James-Karl prendra en charge son intégration à l’unité.

Telle est la décision du conseil.

 

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