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D’or et de Jais Chapitre 2

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D'or et de Jais tome 1 Andy Whou

Chapitre 2

Étann

« Mon loup, mon loup, m’entends-tu ?

Le vieux chêne en lisière de forêt appelle, appelle.

Nous ne pouvons jamais ignorer l’écho de ses racines.

Mon loup, mon loup, m’entends-tu ?

Des choses étranges arrivent quand la pleine lune est venue,

si je te dis de courir, bondis sans réfléchir.

Mon loup, mon loup,

tu ne tueras que pour survivre,

car telle est la rime de nos humbles vies.

Mon loup, mon loup, m’entends-tu ? »

 

J’ouvre les yeux avec peine, puis les écarquille.

Où suis-je ?

Dans ma poitrine, mon cœur s’emballe. Je voudrais bouger, mais ça m’est impossible. La douleur embrase la moindre cellule de mon corps. Par la fenêtre, à ma gauche, un faisceau de lumière se faufile entre les cimes des arbres et pénètre la pièce. Ça déclenche un picotement vif dans mes pupilles et j’ai la sensation que mon sang bouillonne. Je cligne plusieurs fois des paupières, mais rien ne s’améliore. C’est le flou total.

Je ne suis pas mort. Je ne suis pas mort. Je ne suis pas mort.

Mon flanc et ma clavicule irradient d’une douleur aiguë et je me souviens avec stupeur de cette immense bête sauvage aux yeux noirs. Je tourne la tête pour savoir où je me trouve. Il n’y a personne et cet endroit ne ressemble pas à un refuge de montagne. Habituellement, ils sont en pierre et robustes pour supporter les aléas météorologiques. Présentement, le bois m’entoure de toute part.

Je soulève un bras avec difficulté. Mon torse est recouvert d’un linge qui protège une couche de feuilles étalées sur mon épaule jusqu’à mon pectoral droit, qui dépassent du bandage. Quand je relève tout ça d’un doigt, un haut-le-cœur me secoue à la vue de la chair entamée et nécrosée dessous.

Je dois aller à l’hôpital. Je ne survivrai jamais à ces blessures sans aide.

Pourquoi m’a-t-on amené ici ? Et comment une pauvre hutte en bois peut-elle être construite en pleine montagne à plus de deux mille mètres d’altitude ? C’est impossible.

Je suis fatigué et j’ai envie de sombrer de nouveau, seulement la peur me tient éveillé. Pourquoi ce loup m’a-t-il attaqué ? Je n’arrive pas à me l’expliquer. Je n’étais pas une menace et il est rare qu’ils soient agressifs si l’on ne cherche pas les ennuis. Sans oublier qu’il y avait cet homme avec lui. Il ne l’a pas arrêté. Pire, j’ai la drôle de sensation qu’ils étaient… semblables ? Ce garçon aux yeux noirs n’a rien fait pour m’aider. Il m’a juste observé m’effondrer sous les morsures.

Je serre le tissu qui me sert de drap entre mes doigts et rien que ce simple geste intensifie la souffrance. Quand je respire, la douleur m’assaille aussi. Comme si mes poumons s’irritaient sous l’air qui entre puis qui sort. Comme s’il y en avait trop et que mon corps ne pouvait le supporter.

Je veux crier à l’aide, mais ma gorge est trop nouée et trop sèche. Tout ça est étrange.

Une comptine résonne en boucle dans mes oreilles, mais je ne suis pas certain que je n’hallucine pas, car à partir du moment où je la distingue, un brouhaha insoutenable s’y ajoute, puis la recouvre. J’attrape mon visage de mes mains pour m’éviter de convulser, sous le poids du capharnaüm qui me fait vriller le cerveau.

À l’aide ! Venez me sauver !

Je psalmodie dans ma tête :

Je vais mourir. Je vais mourir. Je vais mourir. Je vais mourir.

***

Quand je reprends connaissance, c’est à cause des couinements d’un chien qui pleure et de cette comptine qui ne cesse de tourner dans mon esprit.

Suis-je en train de rêver ?

Mes yeux collés luttent pour s’ouvrir et, instantanément, le bruit résonne de nouveau dans ma tête, telle une cacophonie. Ça retentit si fort que ça me frappe dans les tempes.

Quelque chose gratte contre le bois de la cabane. Lorsque j’arrive enfin à me concentrer et à relever les paupières, j’aperçois un loup immense devant moi. Je me redresse avec effroi contre le mur et un gémissement de douleur m’échappe. Je me débats dans les draps pour essayer de m’enfuir, mais je chute au sol, sans aucune force. J’en ai le souffle coupé tellement le choc de mon corps par terre intensifie la brûlure au niveau de mon flanc et mon épaule. Un voile noir recouvre mes yeux quelques secondes.

C’est lui qui m’a attaqué.

L’animal couine puis se baisse sur ses pattes avant, analysant chacun de mes mouvements. Je plisse le front quand je remarque que du sang goutte sur le parquet, salissant le bois, signe que mes blessures se sont rouvertes.

— N-ne me fais pas de mal… imploré-je.

Est-ce un rêve ? Un cauchemar ? Je suis terrifié et mon corps me brûle toujours autant. C’est une progression lente, dans chaque membre de mon être, cellule par cellule, embrasée et calcinée par un combustible interminable. Le loup s’approche soudain, les oreilles en arrière. Je me recroqueville sous la peur, continuant d’empirer mon état déjà fragile. Il renifle et montre les dents. Je ferme les yeux sous l’appréhension et attends ma sentence.

Il ne sert à rien de se battre s’il n’y a aucun espoir de victoire.

Je rouvre les paupières de stupéfaction quand je sens sa truffe mouillée courir sur mon torse et se faufiler sous le linge en coton. Le sang qui s’en échappe est soudain nettoyé par une langue râpeuse et une bave hideuse.

Je frissonne sous la sensation désagréable et essaie de repousser l’animal. Malheureusement, sa force excède la mienne. Je suis très faible et mon corps lancinant me rend impuissant.

Je ne comprends pas ce qu’il se passe.

— Laisse-moi… chuchoté-je. Laisse-moi.

Mes sens sont complètement saturés et la douleur accapare mon cerveau. Je ne suis pas fichu de penser à autre chose.

— Awu ! s’exclame une voix inconnue. Tu n’as rien à faire ici. DEHORS !

Le loup couine, jappe vers l’intrus, puis s’enfuit la queue entre les jambes. Il est tellement gros que c’en est absurde. Je pivote sur le côté, face au mur, effrayé qu’on me heurte davantage.

— Tu peux te rendormir, déclare le nouvel arrivé.

Je ne le regarde pas.

— Il ne t’arrivera r… Oh ! Tu sens très bon.

Je n’entends rien d’autre, car mes dernières forces me quittent et je perds connaissance.

***

— Réveille-toi.

Je sursaute sous la consigne et mon corps se redresse sur la paillasse sans que je lui en donne l’ordre. Je ne suis pas maître de ce mouvement. C’est stupéfiant. Comme si je ne pesais rien et qu’une force qui ne m’appartient pas me faisait bouger.

On m’a ramassé au sol.

Je passe ma main devant mon visage pour l’examiner, seulement mes yeux sont toujours douloureux et le voile flou demeure bien présent. Je peux néanmoins désormais distinguer les objets et meubles de la pièce.

Combien de temps suis-je resté inconscient ?

Mon cœur bat plus vite que jamais. D’une manière inquiétante d’ailleurs.

Quelque chose cloche. Je ne suis pas dans mon état normal.

Un grondement me parvient aux oreilles. Je me demande si mon cerveau me joue des tours ou si l’attaque était bien réelle. Je suis pourtant toujours dans cette cabane en bois. Celle-ci est aménagée comme si quelqu’un y résidait.

Sur le mur, des tas de fioles et pots de toutes tailles sont entreposés sur une immense étagère. Sur la table en dessous se trouve un réchaud à gaz bien abîmé. En face du lit, de l’autre côté de la pièce, il y a un foyer de cheminée. Le reste est façonné en bois et tout est imbriqué dans cette petite cabane pour vivre confortablement. Une cuvette est déposée à côté de ma paillasse et des linges imbibés de sang flottent dedans.

Je me concentre sur la personne qui vient de me réveiller. J’ai toujours le souffle court. Il y a quelque chose qui ne va pas chez moi. La pression m’étouffe la poitrine, et j’ai encore l’impression qu’une présence s’insinue en moi, dans mes veines et mes cellules. Un corps étranger.

— Il faut que tu te calmes. Sinon, ton cœur ne va pas supporter, me dit l’homme à ma droite.

C’est le même que tout à l’heure. Quand je lève les yeux vers lui, la douleur me placarde au mur et je me plie en deux.

Qu’est-ce qu’il se passe ? C’est insoutenable.

Je suis submergé. Sa présence fait bouillonner mon cerveau et envoie trop de stimuli. J’ai l’impression que ma tête va exploser. J’attrape mes cheveux dans un râle d’agonie.

— C’est l’Empreinte, explique-t-il. C’est normal. Elle s’insère en toi.

Je veux qu’il se taise, mais en même temps pas du tout. Le garçon s’arrête et dépose le bol qu’il a entre les mains sur la table. L’odeur de la nourriture m’est désagréable et mon ventre se contracte. Mon nez me brûle toujours.

Et ce grondement qui ne cesse de bourdonner dans mes oreilles, j’aimerais qu’il s’arrête !

J’ai de plus en plus mal au crâne. Je bloque ma tête entre mes genoux pour éviter de vomir mon cœur et mes tripes sur le bord du lit. L’humiliation s’ajoute à toute cette angoisse et vraiment, là, je voudrais mourir. Pour que la souffrance s’apaise.

Mais soudain, une chaleur prodigieuse éclot dans ma poitrine, puis se propage dans tout mon corps. Ça me fait un bien fou… et la douleur s’arrête. D’un coup. Je n’ai plus du tout mal, mon rythme cardiaque baisse et la quiétude m’enveloppe de toute part. Mon ventre se desserre et je geins sous le répit. L’angoisse est toujours là, mais reléguée au second plan.

C’est comme si on m’avait injecté un tranquillisant.

Quand ce nuage de bonheur commence à s’évaporer, tout reflue en masse et il m’est impossible de ne pas m’agiter, étant conscient de l’intense souffrance qui m’attend.

— S’il vous plaît. S’il vous plaît, imploré-je.

Une seconde vague, plus forte cette fois, se répand partout et mes épaules se décrispent.

— Je te l’ai dit. Si tu ne te calmes pas, tu vas mourir.

À la mention d’un probable trépas, tout revient encore. Comme un ascenseur émotionnel. Je serre les draps entre mes doigts et laisse un hoquet étranglé m’échapper.

Peut-être que je ferais mieux de crever finalement.

Si j’avais une arme à portée de main, je l’utiliserais sans hésitation.

Je veux juste que tout ça cesse.

L’inconnu effectue un pas de plus pour atteindre mon chevet et le gros bourdonnement s’accentue davantage. Mes mâchoires et mes dents sont subitement douloureuses et me lancent. J’ai envie de les planter dans quelque chose. Mes lèvres se retroussent, sans que je ne contrôle plus rien.

— Arrête de me grogner dessus, s’agace-t-il. Je ne te veux aucun mal… Ah ! Ces nouveaux loups, ils sont intenables. James-Karl te ferait tuer pour moins que ça.

Je comprends soudain. Ce bruit qui gronde et qui me dérange depuis le début vient de moi. De ma poitrine, plus précisément. Dès lors que je m’en rends compte, le râle cesse.

— Oh ! Tu n’es peut-être pas si mauvais que ça, finalement, continue le jeune homme avec un sourire malicieux.

Je plisse les yeux pour essayer de mieux discerner cet individu qui se tient devant moi. Il est très grand, semble avoir mon âge et il porte sur lui une odeur… très puissante, de menthe poivrée. Ma vision est toujours altérée et, bien que je cligne des paupières pour améliorer ça, je n’arrive pas à distinguer ses traits. Je les referme pour soulager les picotements.

— Quel est ton nom ? m’interroge-t-il.

Je gronde de nouveau.

— D’accord, d’accord. Je vais te laisser. Je n’étais même pas censé te parler. Lucy passera plus tard pour refaire tes bandages. Mange, sinon les aînés seront offensés.

Il tourne les talons et, avant qu’il sorte, je ne peux m’empêcher d’essayer de le retenir.

S’il disparaît, le tranquillisant s’évanouira avec lui !

— Non ! le hélé-je d’une voix faible. S’il te plaît. Aide-moi.

Il s’arrête devant la porte, se retourne vers moi tandis que l’apaisement et la chaleur m’envahissent une nouvelle fois. Un couinement de soulagement outrepasse mes lèvres.

Merci…

J’ai honte. Seulement, je n’ai pas le temps de m’inquiéter de sa réaction qu’il ajoute avant de partir :

— Il va falloir t’accrocher, si tu désires survivre… Mais je veux bien t’aider. Même si je dois t’avouer que la mort aurait peut-être été plus clémente.

Mes yeux s’écarquillent de terreur. Et malgré la difficulté à le voir, j’entends parfaitement son hoquet de stupeur mélangé à l’effroi quand j’ouvre les paupières.

— Par la Déesse-Lune, TES YEUX ! Ils sont…

Je ne comprends pas sa réaction.

— Dors. Je vais chercher la guérisseuse.

Le silence s’installe dans la cabane alors qu’il sort avec hâte, mais dans ma tête c’est une tout autre histoire. La mélodie tourne et tourne sans cesse. De plus en plus fort.

Mon seul gage de sécurité disparaît et mon corps s’enflamme de nouveau.

« Mon loup, mon loup, m’entends-tu ?

Le vieux chêne en lisière de forêt appelle, appelle…

Nous ne pouvons jamais ignorer l’écho de ses racines. »

 

 

 

 

 

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